Aurore de Saint-Vincent, une ardennaise hors norme.

Ou l’histoire d’une jument ardennaise qu’on trouvait trop petite…

Cette jument rouanne du nom d’Aurore était née du coté de Saint-Vincent, commune de Tintigny dans la province du Luxembourg.

Dans son jeune âge, elle avait été présentée à un concours officiel de modèles et allures, sans doute dans sa circonscription, disons… à l’expertise d’Etalle.

Et le jury fut unanime. Elle est trop petite. Verdict : catégorie C. Ce qui veut dire dans leur jargon, ne correspond pas au standard de la race du cheval de trait ardennais. Elle avoisinait le mètre cinquante.

Caramba…(définition par ce lien)

Son naisseur, Mr. LAHURE, en fut très dépité. Et il l’annonça bien vite à la vente dans un journal bien connu.

Pol de Hulster de Hingeon recherchait à petit prix un cheval de trait pour la voltige et l’hippothérapie dans le manège qu’il tenait avec son épouse.

Alors vendeur et acheteur se sont rencontrées et entendus sur le prix. Aurore de St Vincent rejoignit Hingeon.

L’Hingeonais, ravi, prépara la jument à sa nouvelle destinée. Il commença par la longe, les longues guides et passa ensuite à l’attelage, discipline qu’il pratiquait depuis plusieurs années avec un jeune fjord en parcours d’endurance attelée.

Il avait déjà des bases sérieuses en attelage puisqu’il avait été écolé par Eddy de Meester pour solutionner quelques problèmes avec un autre de ses pensionnaires, un cheval lusitanien très (trop) sensible. Il avait aussi pris goût à la compétition en étant déjà, à de nombreuses reprises, groom pour André HERMAN, multiple champion de Belgique en simple avec son fidèle lusitanien IMPACTO. Une bonne école donc…

Aurore s’est vite mise dans le bain, et très volontaire progressait de jour en jour. Pol mûrissait déjà doucement dans la tête un autre destin pour Aurore qui le surprenait à chaque sortie. Il commença les compétitions d’attelage. Mais le programme en Wallonie était très light en compétition de dressage. Il alla voir en Flandre. Mais la France n’était pas non plus trop loin de Namur, se dit-il. Il m’invita à l’accompagner à de plusieurs reprises comme groom outre Quiévrain. La France avait à ses yeux l’avantage de présenter un programme de qualité avec reprises de dressage et maniabilités très techniques. Un régal aux guides d’Aurore.

Les résultats ne se font pas attendre.

Ainsi, sans vraiment le briguer en début de saison, il décrocha le trophée MenSport pour la Belgique (MenSport est un magazine d’attelage hollandais, donc dans la langue de Vondel, et qui cherchait à s’implanter en Flandre). Aurore déroula, toutes races confondues, les meilleurs reprises de dressage de toute l’année 2002…

Au contact des meneurs français, Pol apprit que Saumur et son Cadre Noir offrait la possibilité, sous conditions strictes, de participer à des stages. Il s’enquérit de cette opportunité.

Sans doute impressionné par les résultats récents évoqués plus haut, le Commandant Vital Lepouriel, responsable de la section attelage du Cadre Noir l’ accepta en stage.

Pol me proposa de l’accompagner car il avait 2 chevaux à travailler, Aurore et un jeune cob Normand acheté récemment du coté de Beauvais. L’aubaine était trop jolie pour moi refuser. Pensez donc une semaine complète au Cadre Noir et aux frais de la « princesse »…

Le rêve éveillé en somme…

Et éveillé, ou mieux, réveillé, fut notre première surprise, quand vers 4 heures du matin, nous avons, la première nuit, été réveillé en sursaut par le démarrage vrombissant de plusieurs puissants tracteurs que les préposés à l’entretien des pistes, dont les hangars se trouvaient à proximité immédiate de notre camion, mettaient en route dans un joyeux tintamarre…

Les installations de Saumur sont gigantesques. Imaginez… De nombreux manèges couverts ou entrouverts aux dimensions de rêve. Plusieurs carrières de dimensions diverses et ronds de longe enterrés. Que dire des écuries, à s’y perdre… Plusieurs dizaines de kilomètres de piste en sable dans la forêt environnante. Large de 8 à 10 mètres. Hersées plusieurs fois par jour si nécessaire et arrosées avec d’énormes citernes à eau.

Un service 5 étoiles.

En plus de l’accueil du « maître » Lepouriel, nous étions au paradis… Nous avions entre les cours, l’opportunité de nous promener, soit pour détendre nos chevaux, soit pour regarder le travail des écuyers: les uns à l’échauffement, les autres dans les airs relevés (piaffer, passage) ou aux longues guides, ou encore dans le manège des « sauteurs » visionnant le travail aux piliers ou encore les sauts d’école (courbette, croupade ou cabriole).

Que du bonheur…

J’aurai le plaisir dans un prochain article de vous reparler de Saumur et de Vital LEPOURIEL.

Revenons à Aurore et Pol de HULSTER.

En fin de saison 2003, pour s’amuser un peu, Pol s’inscrit au rallye des sables, épreuve ludique sur le littoral à marée basse dans la région de Dunkerque. Aurore y fit merveille. Un hollandais (de Belgique) voulait à tout prix acheter la jument. Il insistait et il insistait… Après de multiples tergiversations et un prix plus que rondelet annoncé, Pol lui vendit la jument. 

Mais notre hollandais avait cependant une exigence… La jument devait être pleine d’un bon étalon ardennais.

L’ami Pol, qui ne connaissait rien à l’élevage, m’a demandé ce que j’en pensais. Je l’ai dirigé vers Amon, étalon ardennais suédois, importé depuis peu par Didier SERTEYN au Centre Européen du cheval à Mont-le-Soie.

L’année suivante naissait un magnifique poulain d’Aurore… Et le nouveau propriétaire rejoignit avec la jument Mont-le-Soie pour une seconde saillie d’Amon, tant son poulain présentait de qualités à ses yeux.

Sans sa jument fétiche, et après moult péripéties familiales et professionnelles, Pol a quitté l’équitation et l’attelage. Il s’adonne maintenant avec le plaisir retrouvé à son premier amour qui était les compétitions en moto…et il semble, encore à son âge, y prendre un malin plaisir malgré les broches et les plaques que son corps supportent depuis sa jeunesse…

Nous n’avons plus eu de nouvelles d’Aurore de Saint Vincent, cette jument qui, ce fameux jour d’expertise, avait été jugée trop petite par des juges, seulement obnubilés par sa taille, sans avoir pu estimer tout le potentiel qu’elle pouvait renfermer… On est rarement devin…

Patrick BERT.